Texte d'Olivier Bonnet lu lors du vernissage
Cathédrale de Rouen, le 3 juillet 2010
Mesdames, mesdemoiselles, messieurs
Chers amis,
Durant ma jeunesse, je promenais mes culottes courtes en cette ville aux
cents clochers. Mes souvenirs s'y attachent par une démonstration
architecturale moyenâgeuse si marquante que le plaisir de découvrir
encore la statuaire, les manuscrits enluminés de cette époque
reste encore vivant. Rouen est, à mes yeux, un grand livre d'histoire
de l'art architectural, littéraire, pictural mais aussi artisanal
: l'histoire de tous ces corps de métiers, de toutes ces guildes
qui ont façonnés cette cité.
Quel fut le choc de la jeune Annie - Claude, venue du désert, aux
premiers regards sur ces maisons, sur ces monuments plus dentelés
les uns que les autres ? Quelle fut son émotion à l'approche
de Notre Dame par la rue du Gros Horloge, quand arrivée sur le
parvis, la cathédrale se présente majestueuse, massive,
imposante, élancée vers ce ciel changeant, normand ? Car
elle s'impose la belle au milieu de la vallée : elle en est le
phare, le guide, la signature inimitable. C'est elle qui définit
au premier coup d'il la peinture de Camille Corot avant même
d'en lire le cartel : " Vue de Rouen depuis la colline Sainte Catherine
" et en bien d'autres tableaux. C'est elle que Claude Monet choisit
pour sa célèbre série, pour cet hymne à la
lumière, à l'impressionnante et mystérieuse beauté
du monde.
Elle est là, depuis des siècles, bâtie, ruinée
par les invasions vikings, reconstruite peu à peu, s'élevant
plus haut grâce aux arcs boutants et aux contreforts gothiques,
témoin de drames liturgiques célèbres, ornée
d'une riche statuaire de saints et de saintes que les guerres de religion
décapitent, d'anges et d'archanges protecteurs qui combattent les
diables, les chimères et les gargouilles. Elle est là, flanquée
de ses tours, victime de la foudre détruisant la flèche
de bois et de plomb qu'un grandiose ouvrage de fonte remplace, proie de
bombardements alliés, d'incendies, de tempêtes hivernales.
Elle est là, malgré tous les outrages, elle résiste
droite, fière, fait peau neuve, est restaurée, réparée,
recouverte et prend des couleurs, les soirs d'été : la grande
et vieille Dame inspire encore !
Elle est là devant nos yeux, par cet hommage, par ces tableaux.
Certes, ils s'intègrent, à merveille, au dernier thème
" Balade en Normandie ", mais prennent, je crois, une place
singulière dans toute l'uvre peinte d'Annie - Claude FERRANDO
: insinuant les séries " Musique " et " Ecriture
" et rappelant, sans aucun doute, " Mémoire de femme
". La pierre se fait chair offensée par les hommes, violentée
par les éléments mais demeure bien ferme, digne, vivante,
présente, gardienne de mémoires, du chant sacré,
du livre d'histoire des morts et des vivants, de l'humanité. Elle
est là, gothique, et comme son style, rayonnante et flamboyante
mais aussi rougeoyante de beauté. Elle reste craintive, encore
gémissante sous l'orage, pâle sous la neige, mais surtout
radieuse parce que parée de ses tenues d'été, de
ses effets d'automne, de ses embrasements diurnes, de ses ombres au couchant
ou vêtue de ses atours nocturnes sous la lanterne lunaire. La musique
et les chants transpirent au travers des vitraux, résonnent sur
la place et, dans la nuit chaude, elle s'habille de lumières, de
teintes numériques, multicolores, chaleureuses, de feux artificiels,
festifs, de confettis écarlates.
Les cathédrales d'Annie - Claude FERRANDO sont comme ce sanctuaire
: elles sont construites par le temps, enduites de joies, de larmes, brossées
de grandeur, d'humanisme et colorées de sacré, de divin
: elles puisent, dans les bonheurs et les souffrances, la beauté
qu'il nous reste pour vivre.
Olivier Bonnet
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Texte de Simone Arèse lu lors du vernissage
CATHEDRALES
Les envieux - qui ne manquent pas sur cette Terre - taxeront sans doute
Annie-Claude Ferrando de prétentieuse et d'opportuniste.
Comment, diront-ils, elle ose faire référence à Monet
? Comment : elle embraye sur ce projet pharaonique de Normandie Impressionnisme
(pharaonique assurément pour nos finances)? Et ce toupet, non mais
ce toupet d'exposer dans la cathédrale même
Alors, moi qui suis son amie, permettez-moi, aujourd'hui de répondre,
à voix haute, à tous ces envieux chuchoteurs.
Annie-Claude ne pensait pas du tout à un tel projet, quand, en
2007, pour fêter son départ en retraite, elle décida
d'une exposition rendant hommage à cette région de France,
notre Normandie, où elle s'était reconstruite après
son départ d'Algérie. Elle présenta donc moult paysages,
campagnards aussi bien que maritimes, et quelques cathédrales.
L'expo eut un franc succès, particulièrement les cathédrales.
Elle en peignit donc de nouvelles, qu'elle souhaita, ultérieurement,
montrer à la modeste salle d'exposition de l'Office du tourisme,
en face la cathédrale.
Mais l'Office, sans doute, est si bien occupé par les touristes,
qu'il tergiversa, éluda. Elle décida de ne pas insister,
m'annonçant sa déception par téléphone. Et
moi de lui demander : pourquoi ne pas exposer, carrément, dans
la cathédrale ?
Court silence au bout du fil. Nous sommes amies, je le répète,
elle n'osait donc pas m'avouer qu'elle me trouvait complètement
folle.
Mais comme j'entends aussi bien tout ce qu'on ne dit pas que ce qu'on
dit (surtout ce qu'on ne dit pas, d'ailleurs, j'ai des antennes !), j'insistais,
vantant l'ouverture d'esprit de notre archevêque, son humour (n'avait-il
pas précisé, après sa chute dans la Seine au moment
de l'Armada : je n'ai pas tenté de marcher sur l'eau ?)
J'eus dans l'affaire l'appui d'un aussi fou que moi: le mari de notre
peintresse, qui se laissa donc convaincre, entreprit les démarches
auprès des responsables culturels du diocèse.
Voilà comment nous sommes ici, ensemble, aujourd'hui.
J'en terminerai de la genèse de ce projet en citant François
de La Rochefoulcaud : Qui vit sans folie n'est pas si sage qu'il croit
et Cosme de Médicis, qui ne fut pas seulement un homme politique
mais un très grand mécène : : l'envie est une herbe
dangereuse, que l'on doit assécher et non point arroser.
Simone Arèse
29 juin 2010
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